Le Photographe

Publié le par ELmaTador

Il est des pays dont les gens ignorent tout ou presque, s'ils sont immenses ou petits, de combien ils sont peuplés, quelle langue parlent leurs habitants et quelle est leur monnaie. Mais on sait d'eux qu'ils sont en guerre. C'est d'ailleurs la première chose à laquelle on pense lorsqu'on entend prononcer leur nom.

 

L'Afghanistan est de ceux-là. Tout semble indiquer que ce pays, coincé entre les deux géants iraniens et pakistanais, n'a jamais été en paix. Comme s'il y avait un syndrome commun à tous ces états et provinces dont le nom s'achève en -istan (Tadjikistan, Baloutchistan, Kurdistan...) ou à tout le moins un signe tangible de l'emprise tribale sur ce sous-continent. De fait, au cours de sa longue histoire (enfin... aussi longue qu'ailleurs), l'Afghanistan n'a connu que des paix fragiles, un équilibre précaire des pouvoirs seigneuriaux dans un état fonctionnant de manière quasi féodale.

 

Particulièrement, l'Afghanistan est en plein chaos depuis que des militaires ont succombé aux sirènes du communisme et pris le pouvoir à Kaboul en 1973, chassant du même coup le roi Zaher Chah installé sur son trône depuis quarante ans. Pour enraciner durablement le communisme dans le pays (cette doctrine n'étant guère dans la tradition afghane), l'URSS voisine envahit l’Afghanistan en 1978. S'ensuit une occupation mouvementée de onze ans, jusqu'à ce que Gorbatchev ordonne le retrait de l'armée rouge en 1989. Ce qui ne signifiait pas, loin de là, le retour à la paix. On le voit clairement aujourd'hui.

 

C'est durant cette période que sont apparus les fameux moudjahidin et un certain commandant Massoud. C'était au siècle dernier... Et pourtant, c'est tellement d'actualité ! Car au final, ce sont toujours des Afghans qui se battent contre d'autres Afghans…

 

C'est en plein cœur de ce conflit URSS – Moudjahidin que s'inscrit la bande dessinée Le Photographe, en trois tomes dont le dernier est paru en 2006. Une histoire plus vraie que vraie. Et pour cause : cette BD relate le périple d'une équipe de Médecins Sans Frontières quittant le nord du Pakistan pour rejoindre à pied, par des cols à plus de 5000 m, les vallées du Badakhshan en proie à de violents combats. À cette équipe se joint un photographe : Didier Lefèvre.

 

C'est à travers son objectif autant qu'à travers les dessins d'Emmanuel Guibert et Frédéric Mercier que l'on parcoure ces montagnes à la rencontre d'un autre monde. Un monde où la vie continue malgré la guerre et où les paysans cultivent leurs lopins de manière archaïque. Où les "moudj'" oscillent entre le statut de dangereux gaillards et celui de bons copains dévoués. Où les paysages magnifiques n'ont d'égale que l'hospitalité des habitants. Où les caravanes d'ânes chargés d'obus côtoient les troupeaux de moutons. Où les "french doctors" se démènent des jours entiers pour réparer tant bien que mal ce que la guerre casse si vite, nous apparaissant dès lors comme des héros qu'ils n'ont pas forcément envie d'être. Où l'humour est une porte de sortie permanente pour surmonter la fatigue, le découragement, la peur. Où la guerre apparaît une fois de plus comme le fruit d'une bête et sinistre intolérance et incompréhension.

Les splendides clichés en noir et blanc de Didier Lefèvre ont vingt ans... et pourtant on s'y croirait ! Il est vrai que peu de choses ont changé : la guerre est toujours là, mais plus Médecins Sans Frontières.

 

Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Frédéric Lemercier, Le Photographe (3 tomes), Editions Dupuis, 2003 / 2004 / 2006

 

P.S. : Didier Lefèvre est décédé d'une crise cardiaque le 29 janvier 2007, trois jours après avoir reçu un prix "Essentiels" au Festival de BD d'Angoulême

Publié dans cafeducommerce

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