Souvenirs de Fac (2). L'étudiant, crétin et fier de l'être

Publié le par Persan

Che.jpgL’étudiant se donne l’illusion de travailler à raison de dix heures de cours hebdomadaires. Il joue de la guitare (parce qu’il lui faut décompresser) sur les gazons dévastés. Il s’assoit sur les marches de l’amphi surpeuplé, acceptant sans broncher de s’abreuver à la source du savoir avec ses genoux en guise de tablette. Il se concocte des dizaines de fiches qui le rassurent quant aux progrès qu’il réalise et qui le mèneront au firmament de pensées obscures et hyper spécialisées. Et puis, surtout, il se met en grève, manifeste, se mobilise, une fois par an, histoire de respecter cette tradition instaurée par ses aînés, et de se sentir exister, de devenir un citoyen de première zone.

J’ai participé à ce tableau, sans déparer, au contraire. J’ai été ce crétin qui se donne des airs d’intello engagé, de militant sûr de la nouvelle philosophie qui fera de la France une antenne de Cuba. J’ai suivi toutes les assemblées générales, tous les défilés, sillonné les bâtiments A, B, C et D (quelle poésie !) déserts les jours de mobilisation du 1/10ème d’étudiants politisés. J’ai donc fait partie de cette élite estudiantine qui rêvait de mai 68 à chaque A.G., à chaque slogan ressorti des placards socialos. Et je ne renie rien.

Mais il y a eu cette énième assemblée générale. Un excité a soudainement désigné un employé de la Fac et gueulé qu’il s’agissait d’un R.G., ce suppôt de Satan de l’Etat totalitaire français venu espionner les hauts stratèges estudiantins. Et le pauvre employé de détaler avant qu’une foule d’étudiants ne lui fasse avaler sa légitime curiosité face au aux mœurs étonnantes des habitants de ce temple de la sagesse. J’avoue avoir commencé, tel Candide, à comprendre que tout n’allait pas pour le mieux dans le monde des étudiants, que la crétinerie ne planait jamais loin au-dessus de nos têtes. 

Mais il y a eu surtout cette énième-énième A.G. Intervention d’une grande gueule, hippie en stage de formation politique ou de management qui doit probablement tenir désormais les rênes d’une municipalité ou d’une grosse boîte. Ton vindicatif, applaudissements programmés par le ton final du discours : il se fait ovationner par l’ensemble de l’amphi. Intervention suivante, à l’opposé de la précédente, puisqu’on est en démocratie directe et que la parole est ouverte à tous ceux qui souhaitent se faire mousser devant un public électrique. Nouvelle ovation générale. Des étudiants ou des moutons ? Ça, des intellos ? Des jeunes libres penseurs ?

J’ai alors repensé au meeting d’Hitler à Nuremberg, devant des milliers de soldats bien alignés pour montrer à la photo la puissance et la rigueur germaniques. On peut manipuler les foules plus aisément qu’on ne croit. Et les LCR ou anars le savaient bien, qui restaient scotchés au micro. La fameuse démocratie directe ressemblait à des empoignades incessantes, de la prise de bec à la crise de nerfs, au bord de la castagne virile. Qui, à part des naïfs impénitents, peut penser que deux mille étudiants peuvent discuter ensemble ?*

Le fascisme décrié était à l’œuvre entre les bancs, sur les estrades, le long des murs recouverts d’affiches couvertes de slogans à l’utopie peut-être poétique mais dangereuse.

J’ai alors regagné ma chambre de bonne (sans bonne à m’attendre), repris mon petit Barthes illustré, enveloppé dans la dernière livraison du Monde… Je n’étais déjà plus vraiment étudiant. 

 

 

* A la Fac de Rennes 2, j’ai entendu il y a peu les valeureux défenseurs de la démocratie directe invalider en son nom le vote à bulletin secret organisé sur le blocage de l’Université. Le résultat étant favorable au déblocage des bâtiments leur ont fait reprendre les propos des meilleurs despotes africains : la majorité silencieuse qui ne s’est pas exprimée était, on le sait, en notre faveur. Le scrutin libre et qui s’est déroulé avec bulletins, garantissant l’absence de pression sur les votants, ne pouvait être valable puisque tout le monde n’avait pas voté. Les sièges des députés européens resteraient longtemps vides avec ce type de raisonnement. Il est vrai que rassembler dans un même lieu 5000 étudiants et les faire voter à main levée est beaucoup plus aisé quand on dispose de deux terrains de foot réunis et de jumelles pour dénombrer les bras.

Publié dans cafeducommerce

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